La beauté est comme l'eau d'un torrent

Sylvain LOISANT

La beauté est sans doute le plus beau cadeau de la nature et sa contemplation apporte une joie réelle à tous ceux qui disposent de leurs sens. Aucun effort n'est nécessaire, aucune compétence particulière n’est requise pour profiter du spectacle de la beauté : il suffit de la ressentir. La beauté régénère les consciences fatiguées ou alourdies, elle pousse à l’élévation les ego les plus enfermés. Elle est le signe de l’unité de la vie, de la santé du corps et de l’Esprit. Un monde qui en serait privé deviendrait une machine aussi laide qu’une grande ville moderne. 

La beauté joue aussi un rôle central dans la pratique des arts, même lorsque l'idée du beau est rejetée par la mode comme une valeur ringarde. Le rôle de l’art est selon moi d’éliminer ce qui empêche d’accéder naturellement à la beauté. Et les œuvres d'art sont la continuation de la beauté de la nature à travers la conscience humaine. Ainsi entendue, la pratique d'un art n’a pas pour but d’ajouter des objets à un monde d’objets (si esthétiques soient-ils) mais en premier lieu de fluidifier les relations entre notre esprit et la nature. Les œuvres artistiques peuvent être considérées comme des interfaces qui rendent visible ce qui se déroule, parfois secrètement, dans notre conscience. Elles permettent une mise en lumière de nos rêves, mais aussi de nos illusions et de nos imperfections. On peut alors considérer la beauté artistique comme le résultat d’une sincère tentative d’accord équilibré avec la nature.

La beauté existe dans le mouvement, elle est libre et ne peut jamais être accaparée. Nous pouvons jouer avec elle, mais comme l’eau d’un torrent, elle ne reste pas dans la main. Et si par bêtise, nous cherchons à conserver cette eau qui coule à flot dans un bidon, elle croupira. Autrement dit, en cherchant à réduire la beauté à une somme de règles toutes faites et à un arsenal de techniques, on lui ferait perdre toute sa fraîcheur. Certes, on obtiendrait de cette manière une sorte de beauté artificielle et normative - qui est peut-être la fameuse "beauté du diable". Mais être artiste, c’est avant tout se vider de ses idées préconçues pour se rendre accessible à la beauté imprévue et jallissante. 

La voie artistique ne peut pas se réduire à la recherche d'une victoire que l'on pourrait posséder pour toujours et au nom de quoi on renoncerait à la beauté de l’instant présent. On peut ici évoquer l'image de l’alpiniste fou qui escaladerait une montagne difficile pour atteindre un sommet prometteur de mille merveilles, sans apercevoir que le chemin qu'il emprunte est déjà merveilleux. La quête de la beauté, lorsqu'elle est authentique, est un jeu qui nous fait immédiatement entrer dans une belle relation aux choses et aux êtres. Ce chemin peut parfois être solitaire mais il n’est jamais dénué d’attention sensible à ce qui est devant nos yeux ici et maintenant. 

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